•Sortie France le : 23 octobre 2019 __ Vu le : 27 octobre 2019 •Synopsis et bande-annonce : sorrywemissedyou-vostfr (via Le Pacte/YouTube) •Chronique :
J’ai pris un gros coup de savate — Un double uppercut — En fin de film, plus que mes dents, je me suis demandé « Où étaient mes jambes » ? _
Père travailleur précaire, mais dévoué, intègre et plein de bonne volonté ;
Maman travailleuse libérale exerçant une profession où elle côtoie et subit la misère humaine de toutes sortes, tout ça sans qu’on lui donne les moyens ou plutôt de bonnes conditions de travail ;
Un ado de fils qui complique les choses car à la période de l’âge ingrat ;
Une petite fille qui psychologiquement morfle de toute la tension entre les membres de sa famille.
Non, la famille dans ce film n’est pas fictive et bien malheureusement, elle n’est assurément pas un cas isolé !
Film pour dénoncer, pour accabler, pour vous demander de réagir ?
Jusque là, malgré le fait de louer l’activisme de Ken Loach, j’avais toujours refusé d’aller voir ses films pour la véracité du contenu de ses œuvres, le brut avec lequel il abordait des sujets, mais aussi parce que je considérais que malgré tout ses efforts, hormis sur le court terme, il ne semblait pas toucher grand monde. Je m’étais donc résigné à me dire que m’intéressant à ma manière aux sujets qu’il aborde, pas la peine de me faire mal devant ses films.
Vous savez quoi !? Et bien j’aurai dû continuer comme ça, car là, en regardant Sorry We Missed You, j’ai été envahi d’être sans pitié envers celles et ceux qui, parce qu’il est facile d’accéder à des produits futiles, se permettent des comportements égoïstes uniquement pour satisfaire non pas des besoins, mais juste de envies et de fait légitimisent un système non seulement néfaste pour les petits commerçants, mais aussi pour l’environnement et les êtres humains qui pensent y trouver leur salut. En gros, cela était si bien dit dans le dernier film de Xavier Dolan « Matthias et Maxime« : « Notre société est basée sur la possession, » donc pour elle, Avoir est désormais plus important que Être. À méditer !
-« Je suis payé à la visite, les frais de transport sont pour moi »
-« Je suis payé contre signature à la livraison, sinon rien »
Le travail libéral, mais d’un autre genre. Et non, tout le monde ne peut pas être médecin, notaire et consorts.
Les petits boulots, les travailleurs précaires, la peur liée à tout ce que peut engendrer la perte de son emploi, la pression que l’on s’afflige par peur et qui témoigne de la réussite d’un doux rêve de certains du Patronat et de faux samaritains grands profiteurs de la détresse de certain.e.s, Sorry We Missed You, vous allez voir ça dedans… si l’envie vous dit !
L‘ubérisation et l’auto-entrepreneuriat sont ici dépeints sans trop forcer, car les différentes situations présentées sont là et malheureusement bien implantées. Pas vraiment de fiction en fait ici. !
La chaîne de l’activité et des responsabilités, les règles d’un système, tout est clair dans ce film qui montre que notre société est malade et qu’elle n’offre pas beaucoup d’alternatives, comme si tout était fait, avait été élaboré pour cela perdure, pour que l’on y reste.
Froid, simple, chirurgical, à travers deux jobs, deux thèmes sociétaux d’aujourd’hui, des vies et des boulots pas simples, Sorry We Missed You montre la tension, à quel point tout ne tient qu’à un fil, à un détail, que malgré toute la bonne volonté que l’on met, rien n’est fait pour faciliter la tâche des personnes déjà en difficulté et encore moins de celles et ceux qui travaillent dans le mileu social.
Sorry We Missed You s’échine aussi à nous montrer que ce qui fait le plus de tort ne sont pas les tâches des jobs, mais leurs répercussions sur soi, son couple, sa famille. Ken Loach dans son film montre beaucoup de choses, mais c’est la dénonciation de la perte d’humanisme et la dégradation des liens dans le tissu familial qu’il met à merveille en lumière.
Montre des vrais gens, des gens qui veulent s’en sortir mais que de nouveaux systèmes amènent à des situations peu confortables, montre la vie de travailleurs dans l’Amazon World, leur vie dans la jungle de la libéralisation du monde du travail qui met à mal le tissu social, fait voler en éclat la vie privée de beaucoup… client.e.s compris, attention, ce film peut donner plein d’envies comme d’avoir plus de compassion pour les livreurs, de dire…en le pensant ou pas « Merci ! » , de dire « Bonne journée » , « Bon courage pour la journée » et d’avoir aussi plus de détestation envers les acheteurs compulsifs, ces consommateurs qui veulent tout et de suite.
Il fait comprendre que participer en niant, c’est encourager, qu’encourager s’est être complice, comme le fait de tourner la tête ou de s’en laver les mains, car les jolies et touchantes publicités très axées sur l’humain pondèrent le traitement d’employés à qui on en demande toujours plus, mais en leur offrant de moins en moins de temps, on ne leur demande plus d’être efficace, mais Efficient.
Il fait aussi comprendre que le flux tendu dans le monde du travail, comme l’absence de compassion, semble être devenu une norme sinon la norme.
Personnes qui sont en difficulté sociale et sans soutien mais qui viennent en aide à des personnes exclues socialement et sociétalement parlant, donc sont dans une autre forme de difficulté profonde ; Les galériens qui ont encore une once d’humanisme pour penser à d’autres tout autant dans la merde qu’eux. Ces deux univers interdépendants, c’est une scène qui l’explique (toute la famille qui embarque un soir dans la camionnette pour aller aider une personne) et comme tout le film, pas besoin de chercher à comprendre, tout est montré avec une implacable justesse.
Un système, celles et ceux qui en profitent, celles et ceux qui la développent, toutes celles et ceux qui permettent ou plutôt participent sciemment ou inconsciemment à son optimisation, toutes celles et ceux qui la subissent, les dommages collatéraux en tout genre, Sorry We Missed You est un film avec un engagement toujours sans faille, sans concession pour comme je m’interrogeais en début de ressenti : Montrer – même s’il s’agit de la énième, énième, énième fois – dénoncer, accabler, pour nous demander de réagir !?
Avec une fin qui dit tout et se charge – si tout le contenu d’avant ne l’avait pas fait – de vous faire mal, de vous donner la rage, de vous poser des questions, de vous faire perdre pieds.
Je ne vous souhaite pas bon film, ni bon ciné, ni bonne toile, ni bonne séance, cela serait quelque peu déplacé, mais vous demande juste de vous risquer à voir ce film et à en parler autour de vous… si ce n’est pas déjà fait !
« Son téléphone, il y a toute sa vie dedans »
-« Le client sait toujours où je suis. »
–« Est-ce qu’il y en a un qui un jour t’a demandé comment tu allais !? »
« Publicité. Pour faire beaucoup de gens acheter des trucs au-dessus leurs moyens »
- p.s : Pas une once d’espoir apparemment. En effet, pas de légèreté dans ce film, pas l’impression qu’il y aura un brin d’happy end, le contenu de ce film semble refléter le comportement de notre société consumériste à outrance, pas la modérée, pas celle consciente de ses agissements et qui tente de les minimiser. Non, le film semble être calqué sur ceux qui s’en foutent, car ils peuvent consommer et parfois…sinon bien souvent, se créent des besoins et des envies.
Sorry We Missed You. Pas non plus un film pour les engagés radicaux qui risquent de ne pas décolérer, pas un film pour les âmes sensibles, pas un film pour les humanistes qui risquent de définitivement perdre foi en l’espèce humaine à cause de toute sa connerie, pas un film pour les consommateurs et acheteurs compulsifs qui ne changeront probablement rien à leurs attitudes et encore moins leurs habitudes d’achats… mais je peux me tromper sur tout çà, surtout sur les derniers points !
Sorry We Missed You. Si on n’a pas compris, c’est qu’on n’en a pas envie. Voilà !